Pour ce nouvel opus, pour lequel il a composé des textes aux arrangements d’orchestre, Ambroise Willaume s’est entouré de Benjamin Lebeau (avec qui il avait collaboré pour Woodkid), Jérémie Arcache (un de ses acolytes au sein de Revolver) et Julien Delfaud (qui a produit les deux albums du groupe), entre autres.
Ouverture
Dans ce nouveau départ, et presque seul aux commandes, il nous surprend dès la première écoute de l’EP.
Pour les habitués du groupe Revolver, le dépaysement ne passe pas par le traitement des textes, puisque l’anglais domine toujours. On retrouve aussi les sens de l’harmonie et de la composition, dans leur sens traditionnel, qui ont pu caractériser le groupe.
Cependant, la voix est seule, cette fois, quand bien même elle se retrouve parfois doublée, parfois complétée par une voix différemment traitée. Parfois elles semblent s’opposer. Ce choix d’une voix seule renforce la sensation d’intimité, déjà instaurée par la base du piano-voix. Et la véritable seconde voix de cet EP, c’est bien le piano. Il ouvre le disque avec In Between et déjà, le titre et les arrangements donnent la couleur. Ils nous avertissent que cet EP se situe sur une frontière, et qu’il regorge de compromis et de cohabitations, présents dès l’artwork.
Artwork coupé
Seul devant un fond rose tendre, la silhouette d’Ambroise est coupée verticalement, le laissant apparaître à la fois de face, et de dos, un peu plus petit. De face, mais le visage baissé, la tête tournée vers sa droite, son regard posé sur l’angle inférieur gauche laisse présager une certaine mélancolie. La photo de son buste coupé, collé est altérée sur l’espace de sa veste sombre par des traces plus claires, comme ces échappées que l’on pourra entendre sur l’EP. Cette pochette est déjà une concession entre douceur et déchirure, savant mélange fait de ruptures et superpositions, tout comme les chansons qu’il renferme.
Chansons fragmentées
Les chansons sont toutes fragmentées, évoluant chacune entre une écriture mélodieuse (telle une signature) malmenée par quelques coupures et intrusions. Le tout semble minimaliste et efficace mais il s’avère plein de secrets et de découvertes. Rien n’est accessible à la première écoute, tant et si bien qu’il est nécessaire de reprendre chaque titre pour en percer les différents degrés. La force de la composition réside dans la multiplicité des couches sonores, à la fois abyssales et sombres ou plus lumineuses, à la façon d’éclaircies. La recette des titres relève parfois de l’expérience chimique et peut prêter à confusion. Mais prêtez lui plutôt vos oreilles.
Le titre In Between (voir ci-dessous) est paru il y a quelques jours sur Internet. Cette première chanson, par exemple, oscille entre deux traitements et deux voix qui se répondent et se complètent mais qui jamais ne se mélangent. D’un côté, cette voix haute, aérienne et chantée, de l’autre, la seconde, plus basse lui répond. Le titre offre une magnifique tension qui s’installe crescendo, avec l’entrée des cordes, sous forme de tempête audible, avant de disparaître dans un silence quasi complet, rapidement rompu par le retour au piano voix, en coda, reprenant le motif entendu auparavant.
Last Call Couples s’ouvre sur différentes sonorités successives interrompues par l’entrée du duo référent. Les voix associées aux claps créent un rythme. Elles mettent en valeur l’entrée du violoncelle, annonçant le refrain, où le traitement vocal diffère.
Si le piano semble davantage enjoué sur Summer Rain, il s’agit cependant du plus mélancolique des quatre titres. La voix est plus haute et la spatialisation sur ce titre est remarquable lorsque quelques onomatopées sont saupoudrées tantôt dans notre oreille gauche, tantôt à droite. Cet effet confère au titre une dimension supplémentaire, comme communicant avec un autre espace, un autre temps, tous deux liés à la nostalgie ambiante.
Enfin, l’EP se referme sur To The River. Aucune rupture entre les titres, ce dernier morceau se situe sans surprise dans la continuité de ce que nous venons déjà d’entendre. Cependant, le morceau se démarque par le choix des arrangements. Le piano se déguise en clavier, et les variations opèrent au cœur même de la chanson. L’emploi du pronom « we » met l’auditeur dans la confidence (« We’re not scared as long as we’re together, hold me in your arms »), ainsi toute l’intimité déployée dans cet EP atteint son paroxysme alors que les voix se démultiplient dans un chant de sirènes avant que le break de batterie ne laisse place à une courte et intense parenthèse musicale. Decrescendo, cette fin planante s’atténue, s’étouffe et met fin à la rêverie.
Verdict
Il n’aura fallu à SAGE que quatre titres pour déployer un éventail de sonorités et de possibles autour de son piano. D’après ses multiples références (on peut penser à Neil Young, James Blake, Sufjan Stevens…), il part de cette intimité minimaliste sur laquelle il brode des arrangements et offre ainsi tout un monde contrasté. Tout au long de l’EP, deux atmosphères cohabitent: un entre-deux entre la lumière et l’obscurité. Les interférences électroniques, les jeux d’intensité, les ruptures et les silences bousculent le confort d’écoute et poussent à la découverte afin de dénicher certaines nappes sonores et subtilités. En voilà une bien belle surprise en cet automne.
À suivre
Et, si SAGE n’est pas là où on l’attend, il est recommandé de rester attentifs puisqu’un album est prévu pour 2015. D’ici là, la curiosité peut toujours mener à le voir en live, d’autant plus qu’il s’annonce seul en compagnie de machines. Des dates de tournée ont été annoncées par son label. Ce n’est donc qu’un (nouveau) début.
Remerciements - Label Gum
Crédit photos - Ismael Moumin
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SAGE, In Between (Label Gum), sortie le 27 octobre 2014. Pré-commande sur iTunes : http://smarturl.it/sage-inbetween
Tournée française à partir du 22.10.
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