Cher Frank, je me permets de vous piquer un instant vos guêtres et votre fouet afin de rétablir l’équilibre des points de vue. Nous offrirons donc aujourd’hui la parole à cette chère Béatrice, délaissée la bave aux commissures et la joue striée de plis d’oreillers (allons mesdemoiselles, ça n’arrive pas qu’aux autres). Le réveil plus amer qu’une huitre oubliée du réveillon ayant eu lieu il y a de longs mois, la petite Béa a eu le temps de se casser les dents et le cœur sur d’autres « amants ». Elle a espéré, elle a aspiré, elle a même appris à ne plus recracher pour retourner chaque fois à la même case, celle de sa voisine (à qui il en manque probablement une) qui passe ses soirées à pleurer en se lamentant sur son sort et ses histoires d’amour avortées.
Béa a donc lu avec avidité vos conseils, Monsieur Frank, en admettant sur de longs soupirs que vous aviez sûrement raison. Elle a d’ailleurs débattu du sujet avec nombre d’autres éléments masculins, ces derniers corroborant systématiquement les goûts et les efforts décrits et décriés dans l’étude susnommée. Elle a ainsi passé de longues heures à renouveler soigneusement ses sous-vêtements, à apprendre les arts presque cabalistiques du maquillage, de la coiffure, de la démarche et, puisque c’est à la mode, a même adhéré à un cours d’effeuillage burlesque. Non pas pour devenir la prochaine Lily Darling Scarlett Cherry mais simplement pour acquérir cette assurance qui, lui aviez-vous garanti, devait à coup sûr lui ouvrir la porte de tous les antres masculins.
Première déconvenue. Lâchée dans un milieu typiquement masculin et passablement immature (qui a sifflé au pléonasme ?), la petite Béa passe totalement inaperçue. Elle tente le mouvement spectaculaire d’un diner préparé de ses blanches mains, et ce toute vêtue de bas interminables et de talons gratte-ciels, dessous coordonnés cela va (désormais) de soi. « Tu manges tout ça ? » Regard noir de la Béa qui comprend en quatre mots toute l’étendue du vice humain. L’élégance au 21ème siècle, c’est de n’avoir aucun réconfort après l’effort. C’est donc pour cela que les collègues préfèrent lorgner les fades dans les couloirs, ces filles filiformes qui rentrent dans le sacrosaint et si enfantin 36 (voire 34)… Celles qui leur rappellent avec émoi leurs premiers touches pipi et qui collent si bien aux images vendues par la télé, les films, les pubs prints, les magazines et même – diantre ! – par la littérature.
Béa pensait que si les hommes cherchaient des femmes libres, sûres d’elles (au moins au lit) et affranchies, il lui suffirait d’être une femme libre, sûre de ses talents buccaux et affranchie quant aux autres pour avoir tout compris. Et pour Béa, une femme, ça a des formes. Pas celles des vaches laitières des mangas, ces gamines en kilts rehaussées chirurgicalement non sans un humour caustique et un pied de nez certain à la gravité, mais de vraies formes, des hanches, un ventre rond et doux… Mais non. Voilà que le mâle d’il y a quelques lignes, rassasié (au sens propre du terme), décide de passer la soirée devant des rediffusions de match. Et elle de croiser et de recroiser ses guiboles de nylon, de mordre ses lèvres pulpeuses et de ronger son frein.
Pauvre petite Béa, si nue et si naïve derrière tout ce chemin et cet ensemble exorbitant de chez Chantal Thomass. C’est alors qu’elle regarde l’autre, ce zig en pleine béatitude qui crèverait d’envie de lui dire de rentrer à présent qu’il n’a plus besoin de ses services.
Pour commencer, l’homme est mal sapé. Soyons honnêtes, il est rare de tomber sur son âme sœur vestimentaire. Béa vous ayant lu, Monsieur Frank, elle s’était dit qu’après tout cela elle aurait au moins droit auxdits costumes et chaussures raffinées. Que nenni. Par respect pour les âmes sensibles, nous n’aborderons pas dans le détail le choix des sous-vêtements masculins. Elle repense aux heures de manucure, d’épilation intégrale à la cire, aux pieds qui saignent en rentrant d’avoir fait des folies dans des outils de torture que l’on appelle chaussures. Et en se remémorant tout cela, voici ce qu’elle trouve face à elle : un être poilu, boutonneux, qui d’ici deux à trois ans aura une calvitie et qui ne fait pas plus attention à sa ligne que ça. « On a dit pas le physique ». Certes. Je suis vilaine. Alors, examinons le reste. Monsieur Football ayant décidé que Béa était un peu trop boudinée à son goût, il ne prend la peine ni de châtier son langage, ni de lui faire la conversation. « Meuf, il est tard là, je me lève tôt demain. » Ni une ni deux, la meuf Béa se casse, pas demain la veille que son risotto remettra ses gambas par ici.
Quelques abdominaux euphémiques, un régime digne de la guerre (le steak-semelle en moins) et on retrouve Béa au rendez-vous numéro 285725978. Il aura fallu du temps à monsieur Z. pour obtenir ne serait-ce qu’un café avec la demoiselle. C’est qu’elle est devenue farouche la belette ! Elle est plus difficile et demande au moins le minimum vital, une présentation correcte et ce savoir-vous rendre unique nécessaire même quand on en connait les rouages. Monsieur Z. a jusque-là vingt sur vingt. Il ne lui laisse pas le temps de dire non, l’invite dans un joli musée au lieu d’un bistro pourri,la fait rire et, sur son crâne, la chevelure bien que maigre demeure tout à fait respectable. Disons dix-neuf pour quelques différences artistiques mineures, rien de grave. Elle, de son côté, prend soin d’éteindre son téléphone. Elle est le résultat d’années de travail sur l’être féminin, juste mesure de femme fatale et d’enfant, de charme et de critères de beauté actuels. Bref normalement tout devrait rouler sur vélib… Oui, mais.
Attablée dans un endroit cossu, la jeune Béa commande un simple thé vert. « Tu ne manges pas ? » « Non, je fais un peu [douce litote] attention. » « C’est dommage, moi j’aime bien les filles qui profitent. »
À compter de ce moment, il n’y aura plus jamais chez Béa de petit ange, de concession ou de faveurs buccales non partagées à 2h du mat alors qu’elle doit, elle aussi, se lever tôt le lendemain. Monsieur Z. vient, sans le savoir, d’appuyer sur le fameux bouton rouge. Elle le regarde avec sourire, minaude en lui piquant une frite dans son plat et se jure intérieurement dans cinq langues différentes que celui-là, elle va le faire souffrir.
Si seulement Monsieur Z. avait la moindre idée de ce qui l’attend au détour d’une nuit. En revanche vous, messieurs les mâles lambdas, à présent, vous savez. Il ne faudra pas vous plaindre à Monsieur Frank au coin d’un bar dans quelques années. À bon entendeur, je vous souhaite également une bonne année.
Francine.
Toutes les photos sont d’Erwin Olaf
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