Film de funambule, qui oscille sur la corde sensible d’un sujet récent en mettant en scène des personnes encore en exercice, qui réalise pourtant l’exploit de faire un film résolument apolitique dans son traitement. La représentation du personnage est si fidèle à l’image qu’on s’en fait qu’elle ne peut pas être prise pour un éloge ou une satire : elle est juste une représentation.
La Conquête est pour le cinéma français un exploit cinématographique majeur, car il propose de mettre en scène un événement historique récent avec de surcroît un président encore en exercice, comme le W. d’Oliver Stone et The Queen de Stephen Frears. Contrairement à nos amis anglo-saxons beaucoup plus décomplexés à ce sujet, La France n’aime pas se regarder dans un miroir, d’où sa frilosité à la représentation présidentielle, qui semble avoir toujours été cantonnée au format documentaire ou théâtral.
On peut compter sur les doigts d’une main, les films ‘présidentiels’ comme Le Promeneur du Champ de Mars (2005), Président (2006) ou Le Président (1961). Le pourquoi est sûrement le fruit de plusieurs facteurs, car il existe en France un certain respect de la vie privée, et surtout que l’on préfère traiter la fonction politique par le spectre de l’actualité, plutôt que par celui de la fiction.
Les films américains ont tendance à projeter dans la fonction présidentielle une image de ce qu’ils voudraient qu’elle soit. Prête à tout pour défendre la Nation, comme dans Air Force One ou Independence Day. Une minorité, comme dans Deep Impact ou Président par accident. Effacer un passé douloureux, comme dans Primary Colors. Les Américains élisent leur président au cinéma, alors que les Français le font dans la presse et à la télévision.
La Conquête doit pourtant être appréhendée comme une œuvre de fiction qui ressemblerait étrangement à un passé proche, pour pouvoir être appréciée. Juste après l’annonce du film, on entendait grincer des dents la moitié de l’électorat français, « c’est un coup de pub », pour l’autre moitié, « c’est pour le détruire ». Les deux partis seront déçus, car si ce film appartient bien à un genre à part dans le cinéma français qu’il nous est encore difficile de nommer, il ne s’agit bien pas d’un film de propagande ou d’un film critique. Plutôt que de relater fidèlement la campagne, façon documentaire, tous les moments mis en scène semblent être un clin d’œil au spectateur politiquement averti. La complicité est telle que la salle se remplit vite d’éclats de rire et d’onomatopées en tout genre, du rhôôôôô au tst, à choisir en fonction de votre bord politique.
Tous les faits sont réels, nous apparaissant si proches. Mais le contenu du film reste avant tout un homme, tiraillé entre sa montée fulgurante, presque clownesque, vers le pouvoir et la perte inconditionnelle de la femme qu’il lui a permis d’en arriver là. Finalement, le film politique de côté, on se laisse porter par le jeu d’acteur époustouflant de Denis Podalydès, de la ressemblance frappante de Florence Pernel à Cecilia Sarkozy, de la tonalité traînante de Bernard Le Coq, de la tignasse grise de Samuel Labarthe et du tailleur Chanel de Saida Jawad.
Xavier Durringer réalise un tour de force car il montre sans pour autant être voyeur, représente sans tomber dans la critique (positive ou négative) d’ailleurs. Galop d’essai réussi pour le cinéma français dans le domaine de la fiction présidentielle d’actualité qui amène une étrange sensation à la sortie de ce film, qui, de façon assez surprenante, est divertissant, et d’autre part, donne une envie inexorable de se pencher de plus près sur l’actualité politique.
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