Amour – Michael Haneke : Bouleversant, sans artifice aucun
Et la Palme d’or du 65e Festival de Cannes est attribué à… On ne le sait pas encore, et on n’a pas vu tous les films, mais le dernier long métrage de Michael Haneke pourrait l’être. Amour est une œuvre sur le dépérissement, sur la déchéance corporelle et spirituelle de l’être aimé, et la façon de le vivre. C’est généreux, poignant, beau et douloureux, mais si Amour touche tant, c’est qu’il est incroyablement poétique et musical.
Le film s’ouvre en silence sur un générique sobre. Et pendant très exactement deux heures et sept minutes, la musique exogène ne sera pas (ou presque). La musique joue un rôle, très symbolique, celui de la vie. Elle est d’abord jouée par un pianiste en ouverture pour signifier la vie. Puis, quand Anne ordonne à Georges de couper la musique, elle exprime son désir de ne plus vivre. Vers la fin, chanter une simple comptine, tout comme boire, devient presque impossible. Et enfin, la musique laisse la place au silence, à la mort.
Haneke a compris l’importance du silence en musique et en use comme signifiant. Son huis-clos aux longs plans fixes laisse alors la possibilité aux personnages d’évoluer et de déclamer. Car, si le réalisateur autrichien a choisi Jean-Louis Trintignant (remarquable) et Emmanuelle Riva (hésitante au début, puis hallucinante de justesse), ce n’est pas un hasard. Tous deux comédiens de théâtre, ils savent comment faire sonner les mots. Quant à Isabelle Huppert, même si elle n’interprète qu’un rôle secondaire, elle est parfaite, comme à son habitude.
Pour Haneke, l’amour est donc celui qui dure, celui qui traverse toutes les épreuves, celui qui est patient et dévoué, et qui ne s’effrite pas. Une scène résume merveilleusement cette conception : celle où, pour la première fois, Georges soulève Anna pour l’installer dans un fauteuil. Ce moment a la même force, la même intensité qu’une première étreinte…
Hanneke a déjà remporté le Grand Prix pour La Pianiste, le Prix de la mise en scène pour Caché et la Palme d’or pour Le Ruban Blanc ; on a la certitude qu’il ne repartira encore pas bredouille cette année.
Like Someone in Love – Abbas Kiarostami : Fascinant
Nombreux sont les avis négatifs sur ce film de Kiarostami, et pourtant, c’est un long métrage subjuguant, d’une extrême délicatesse.
D’abord, on y entre comme figurant qui ne voit pas la personne qui parle ; elle est hors champ. Sa première phrase, « Je ne te mens pas », dévoile d’entrée le thème sous-jacent : le mensonge, faiblesse intemporelle de la nature humaine. Dans cette séquence aux plans-séquences fixes irréprochables, Akiko ment (et ce, doublement) à son petit-ami jaloux et impulsif. Elle lui ment en soutenant qu’elle ne ment pas, et cache la vérité sur sa situation : c’est une escort-girl.
Suit un plan fabuleux où l’on voit le mac, hors du restaurant, passer un appel : son reflet dans la vitre contient les deux jeunes filles restées à l’intérieur. Il les possède, et peut exercer un pouvoir incontestable sur elles ; il en envoie d’ailleurs une chez l’un de ses amis.
La séquence dans le taxi est d’une beauté incroyable. Peu à peu, au son des messages qui s’enchaînent, les sentiments de culpabilité et de honte grandissent chez l’héroïne, lesquels culminent à la vue de celle qui l’attend toujours près de la gare après des heures à espérer. Il ne reste plus qu’à s’abandonner.
Chez le vieil homme, il s’opère une connexion plus amicale que froidement professionnelle ; les personnages sont honnêtes, se ressemblent dans leur solitude, et s’y retrouvent, même dans le silence sur le chemin du retour, le lendemain. Et quand vient le temps de la séparation, un lien entre eux surgit : elle est étudiante à l’université dans laquelle il a jadis enseigné. L’autre séparation a lieu à la librairie, où elle doit acheter un livre. Lui en traduit et en écrit.
La scène suivante, entre le vieil homme et le petit-ami, est basée sur le mensonge ; scène qui trouvera son écho entre Akiko et la voisine curieuse du vieil homme (poursuite du même mensonge, pour protéger l’autre).
Enfin, la clôture étonnante du film se fait sur une nouvelle scène en hors champ, d’où le personnage hurle : « Menteur ! » La boucle est bouclée, tout en laissant l’histoire évoluer dans l’esprit de chacun.
L’amour de Kiarostami n’aura probablement pas un goût de cerise cette année, mais le raffinement de sa réalisation et la méditation hypnotisante qu’il propose sont indéniables.
To be continued…
Vous avez aimé cet article ? Partage le !
-
- Tweet
-
Melissandre L. a écrit :
Chère collègue, avec des références comme les tiennes, je ne peux que te faire confiance les yeux fermés.