De rouille et d’os – Jacques Audiard : Et d’or…
Autant le dire d’entrée : Jacques Audiard a tout compris au Cinéma. C’est la phrase qui survient, comme une évidence, dans n’importe quelle tête de cinéphile passionné quelques minutes après le début de son De rouille et d’os, adaptation des nouvelles de Craig Davidson.
Tout a un sens et tout s’enchaîne merveilleusement bien, en séquences courtes, denses et intenses, accompagnées de dialogues affûtés (même sa version de la réplique mythique « C’est à moi qu’tu parles ? » est réussie). Chaque scène est intéressante et captivante, chaque plan est utile et jamais pompeux. Par exemple, le plan sur les jambes nues et ensanglantées de Stéphanie (Marion Cotillard, excellente) annonce désir et drame ; et, plus tard, le ralenti sur sa démarche avec ses prothèses symbolise le courage et en procure à Ali (Matthias Schoenaerts, époustouflant). Le reste suit la même logique de signification.
Ce n’est pas pour rien que la deuxième séquence du film, celle qui ancre dans la réalité, commence par un plan sur les pieds de Ali marchant sur le bitume. Il y a là une volonté de réflexion sur l’évolution de l’être humain, et sur les corps en temps de crise (physique et socio-économique). Comment l’humain peut-il avancer sans but et/ou sans ses jambes ? C’est ce que le réalisateur veut montrer. De rouille et d’os est un film sur le dépassement de soi, sur la lutte, sur la réconciliation avec la vie. Tel que le détaille Matthias Schoenaerts : « C’est un film sur la réconciliation entre un homme et une femme, entre l’homme et l’animal, entre un père et son fils, entre un frère et sa sœur… »
Jacques Audiard est un réalisateur de son temps. Il filme la vie, qui naît de l’histoire d’amour entre deux personnes brisées, dans l’ombre (le travail épatant sur la lumière renforce cette idée), qui recherchent un espace d’expression (comme Wes Anderson l’a fait avec son Moonrise Kingdom, dans un registre bien moins réaliste et plus léger). Stéphanie tente de se reconstruire en s’abandonnant, mais Ali (qui ne distingue pas acte sexuel et service à la personne, ou pratique ce premier comme la simple satisfaction d’un désir physique) n’est pas encore tout à fait démoli. Au travers de la violence bestiale (combats de rue illégaux), il cherche à ressentir. Mais c’est en s’inquiétant pour son fils de cinq ans, Sam (qui a le même prénom que le personnage principal de Moonrise Kingdom), et en usant de délicatesse envers la princesse devenue animal rampant, puis un peu Robocop, qu’il apprendra à dire « je t’aime ».
Dernier lien avec Moonrise Kingdom, le moins contestable et le moins alambiqué : l’intarissable Alexandre Desplat. Les deux réalisateurs ont en effet judicieusement fait appel à lui. Comme pour le film de Wes Anderson, la bande originale de De rouille et d’os est remarquable, s’adapte harmonieusement aux situations et se mêle sans accrocs à la musique additionnelle, composée entre autres de Django Django, Colin Stetson, Bon Iver, ou même Katy Perry, et le remix de I Follow Rivers (Lykke Li) par The Magician.
De rouille et d’os sera très certainement récompensé. Et il le méritera. C’est un grand film, avec deux grands comédiens, faits par un grand réalisateur. Merci, Jacques Audiard, merci.
Student – Darezhan Omirbayev : Bonne volonté, résultat insuffisant
De la France, on rejoint le Kazakhstan : la sélection Un Certain Regard propose un long métrage de Darezhan Omirbayev. Student est son adaptation personnelle de Crimes et Châtiments de Dostoïevski.
Laconique, mou et conditionné, l’étudiant en question commet son crime (un double meurtre) pour savoir s’il fait partie des courageux ou des lâches de cette société, capitaliste, en crise et injuste. Le film repose sur l’ampleur que prend la culpabilité dans sa vie. Peu à peu, il s’isole, en même temps que le spectateur s’ennuie.
Plusieurs journalistes quittent la salle, probablement agacés par ce cinéma taiseux qui ne trouve de force ni dans le jeu d’acteur (l’expression neutre, peu de comédiens la maîtrisent), ni dans la musique (médiocre), ni dans la réalisation qui s’appuie trop sur le concept de minimalisme.
Et pour ne rien arranger, voir tant de fautes dans les sous-titres, c’est pénible…
Paradies : Liebe – Ulrich Seidl : Qui a dit pathétique ?
Paradies : Liebe est le premier volet d’une trilogie dressant le portrait de trois femmes, chacune en vacances. Après une scène d’exposition efficace, Ulrich Seidl emmène le spectateur au Kenya, en compagnie d’une Autrichienne en surpoids et en mal d’amour.
Une question de pose : quel est l’intérêt de filmer avec acharnement des femmes idiotes qui pensent trouver (créer) l’amour en faisant du tourisme sexuel ? D’autant plus que le sujet est traité de façon dégradante et simpliste, mettant en regard Europe et Afrique, exploiteur et exploité (dans les deux sens).
Quand un film est mauvais, même en compétition officielle au Festival de Cannes, on peut le dire, hein !
Mystery – Lou Ye : Le double et ses conséquences
Six ans après avoir présenté en sélection officielle du Festival de Cannes (2006) Une Jeunesse chinoise (film banni en Chine qui a valu à son réalisateur et à sa productrice une interdiction de tournage pour cinq ans), Lou Ye dévoile son nouveau long métrage en ouverture de la sélection Un Certain Regard.
Mystery aurait davantage eu sa place en sélection officielle, à la place de Paradies : Liebe, par exemple… Mais ça, c’est un avis tout personnel. Objectivement, Mystery porte bien son nom. Il est habilement mené, bien rythmé, et la musique de Peyman Yazdanian habille joliment les silences des acteurs aux visages expressifs.
Ça commence par un accident de voiture dans lequel périt une jeune fille. Une séquence violente. D’autant plus violente que le film s’ouvrait musicalement sur une douce interprétation de l’Ode à la joie de Beethoven. S’ensuivent enquête, révélations, tromperies, manipulation et vengeance.
L’idée de Lou Ye d’ajouter une intrigue policière à l’histoire (inspirée par le journal intime publié sur Internet d’une mère de famille trompée par son mari) est bonne, mais il est tombé dans son propre piège : résoudre le mystère.
Alors que la séquence au ralenti expliquant les causes de l’accident aurait pu clore le film, Mystery continue, s’enfonce dans une volonté de justice et de retour à la normale, donne trop de réponses, bref, perd en intensité. Dommage.
To be continued…
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isatagada a écrit :
Marrant, j’avais lu ton article et pas commenté encore. Bravo, beau boulot !