Archie Shepp + Attica Blues Big Band | Au Grès du Jazz 2015

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Après la soirée "Double Bass" avec Kyle Eastwood Quintet et Gary Peacock Trio, "Au Grès du Jazz" recevait Archie Shepp et son Attica Blues Big Band, ce 11 août.

Mardi 11 août 2015 | 21h10.

En voix off, un poème en guise d’introduction. Le concert peut commencer. Les musiciens s’avancent. Ils sont une quinzaine sur scène. Archie Shepp monte en dernier. Même pas encore sur les planches qu’on l’applaudit déjà.

Archie Shepp nous emmène loin. Loin de La Petite Pierre. Nous sommes à Attica dans l’État de New-York en 1971. Les prisonniers majoritairement noirs se révoltent face à l’administration pénitentiaire. Quelques mois auparavant en Californie, George Johnson qui venait de rejoindre le groupe des Black Panthers pendant son incarcération est tué par des gardiens pour tentative d’évasion. Mouvements protestataires, tout va ensuite très vite. Stupeur et horreur pour la communauté noire. Les prisonniers d’Attica ont écho de cet événement, ils se révoltent. Des émeutes éclatent, on dénombre une quarantaine de morts.

Un an après, Archie Shepp écrit, compose, enregistre l’album Attica Blues en un temps record. Pour les prisonniers, pour la communauté noire, pour des conditions “plus” humaines. Pour la vie, tout simplement. L’espoir que ces choses-là ne ressurgissent plus. Musicalement cet album sera pour beaucoup, le plus réussi. Pour nous aussi. Faut dire que le musicien a souvent accompagné Max Roach, Chet Baker ou encore John Coltrane sur scène. C’est avec ce dernier que le jeune Archie se frotte à la scène. Il explore différentes contrées, bebop, free jazz, swing… Encouragé par Coltrane même, Four for Trane (1964) — écrit par, et en hommage à ce dernier — sera le premier album studio d’une longue discographie. Véritable touche-à-tout, il sera au fil des années, tout à la fois ; auteur, compositeur, saxophoniste, dramaturge, professeur, partisan du combat pour les afro-américains,… Considéré comme l’un des fondateurs du free jazz avec Cecil Taylor, Archie Shepp jouera essentiellement du free jazz en y ajoutant quelques riffs de blues, de la soul et empruntera même quelques mélodies du gospel. Un fabuleux mélange des genres.

En 1979, un orchestre nommé Attica Blues Big Band monte sur scène avec le saxophoniste. En 2012, comme pour nous faire prendre conscience que finalement rien n’a changé dans les prisons, on le revisite une nouvelle fois.

Ce soir donc, nous sommes à Attica. L’orchestre à l’arrière, Archie Shepp se tient là devant nous sur sa chaise. Chapeau de paille, costard cravate impeccable. À sa main gauche, un saxophone prêt à être brandi pour jouer les premières notes. Les traits de son visage sont durs, marqué par le temps. Archie a des allures d’un grand Homme. Et il l’est.

Archie est (d)étonnant. Malgré ses 78 ans il tient toujours la scène, il semble infatigable. Indétrônable pour nous. Son souffle n’est plus le même qu’avant, mais quel plaisir de l’écouter ! Les spectateurs adorent. Et nous aussi. Sur son pupitre trône la setlist de la soirée et quelques morceaux de saxophone à jouer. Il n’y a rien à laisser, tout a été méticuleusement préparé pour donner le meilleur de lui-même.

Le Big Band se compose majoritairement de musiciens français. Deux voire trois générations les séparent. Ils sont prêts à prendre la relève du Maestro. Olivier Miconi en trompette fera un superbe solo sur le titre Mama too Tight. Marion Rampal est une révélation pour nous. Quelle voix! Amina Claudine Myers l’accompagne. La relève est assurée ; Carl Hall qui chantait notamment Ballad for a Child sur le disque original aurait eu du souci à se faire: elles sont extraordinaires. Et puis il y a Tom Mc Clung au piano, Famoudou Don Moye à la batterie. Pierre Durand à la guitare. L’autodidacte Darryl Hall à la contrebasse et basse. Que du beau monde qui se produit sous nos yeux. Un vrai opéra-lyrique teinté de cuivre. L’ambiance est chaleureuse. Ça swing! Ça d’jazz’! Ça n’a d’yeux que pour Archie Shepp.

Pas une seule fois un spectateur levait ses yeux vers le ciel ou détournait son regard de la scène : les musiciens nous ont captivés. Jonglant entre l’anglais et un français impeccable entre deux chansons, le saxophoniste nous conte une anecdote sur la musique qui vont jouer. L’une d’elles est un hommage à son cousin assassiné à 15 ans dans les rues de Philadelphie. Difficile de ne pas penser à Ferguson et Michael Brown ces temps-ci. Archie nous a tous emmené dans son monde. Ce monde là où la violence policière cesse. Nous devenons partisans. Des guerriers de la liberté. Dans lequel nous sommes en paix, nous nous soutenons mutuellement. Où l’entraide est présente entre les différentes communautés qu’importe la couleur de notre peau. Nous aurions tous aimés y rester jusqu’à l’infini, rêver, espérer encore un petit peu mais la fin approche. La fin, c’est Archie au chant défiant Marion et Amina Claudine sur la chanson Attica Blues. Pas de rappel, uniquement un set sans pause.

Entre confrères accrédités ce soir-là, nous nous regardons sans voix face à l’orchestre et la légende vivante… Pas de doute, ils ont été fabuleux. Quelle soirée!

Crédit photos: Léna T.

Line-up:
Archie Shepp, Saxophones, voix
Amina Claudine Myers, Piano, voix
Famoudou Don Moye, Batterie
Tom Mc Clung, Piano
Darryl Hall, Basse/Contrebasse
Marion Rampal, Voix
Pierre Durand, Guitare
Christophe Leloil, Izidor Leitinger, Olivier Miconi, Trompettes
Sébastien Llado, Romain Morello, Michaël Ballue, Trombones
Olivier Chaussade, Saxo alto
Virgile Lefebre, Saxo ténor
François Théberge, Saxo ténor
Jean-Philippe Scali, Saxo baryton

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A propos de l'auteur

Image de : Issue des industries graphiques, je collabore occasionnellement pour Discordance, l'œil au viseur avec carnet & stylo dans ma poche.

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