Premier symptôme : le choc des cultures
Une longue route s’étire à l’infini dans un paysage qui pourrait être une Normandie dépeuplée, n’importe quel désert rural. Au milieu de ce nulle part, se dresse une ferme énigmatique. À l’instant où la petite voiture BM propre s’embourbe dans la cour de ferme, et que ce personnage sorti d’une pub pour The Kooples en sort, cherchant frénétiquement à trouver du réseau mobile dans ce point hors des cartes, le processus d’identification commence.
Lâcher le confort de la grande ville pour aller, presque littéralement, s’enterrer dans un trou perdu, est une épreuve, aussi risible soit-elle. C’est une perte de repères géographiques qui signifie : « tu n’es plus chez toi ». La négation du soi dépasse très vite le cadre technologique pour attaquer le sujet principal du film : Tom visite la ferme de la famille de son ex petit ami décédé, la mère de celui-ci ignorant tout de cette relation. Ce préambule pourrait être le début d’une comédie. Dolan en fait un drame psychologique et valétudinaire, où l’abondante empathie du héros se heurte à la jachère culturelle des personnages qu’il est amené à côtoyer.
Second symptôme : le choc des générations
Une mère castratrice, un fils abusif, de nombreux absents et un lourd secret… Ce film a choisi avec soin les ingrédients de son exploration. Dans ce huis-clos tiré de l’excellente pièce de Michel Marc Bouchard, Dolan décante une nouvelle fois les relations familiales. Les liens tissés autours de l’amour filial et fraternel s’y montrent dans ce qu’ils ont de plus sombre, de plus incompréhensible, sans pour autant vouloir pointer du doigt une causalité freudienne mal placée.
Parler d’homophobie en France aujourd’hui à travers ce film, c’est risquer de mettre un doigt maladroit sur un abcès douloureux, à vif. Ce que fait Tom à la ferme c’est justement de ménager les pudibonderies, en passant sous silence cette relation si odieuse aux yeux des autres membres de la famille. C’est sans doute le meilleur moyen pour faire comprendre à une frange du public aux antipodes de cette situation, à quel point cette haine sourde et sournoise peut être maligne au sens médical du terme. L’amour ainsi dissimulé, renié, transforme cette peur de l’autre en une bête monstrueuse, parfaitement symbolisée par la terrifiante et magnétique ferme, ou par le personnage « Faulknerien » de Pierre-Yves Cardinal.
Troisième symptôme : le choc des sens
Découvrir Xavier Dolan avec Tom à la ferme c’est faire un baptême de l’air sans parachute. Les habitués y retrouvent un esthétisme, une cohérence musicale et des silences. Si le néophyte comprend très vite certains codes, rien ne pourrait le préparer à puissance du si jeune réalisateur québécois. Acéré comme un champ de couteaux, excessivement immersif, ce nouvel opus présente la force de l’angoisse des grands maîtres, d’Alfred Hitchcock à Stephen King, sous un voile de modernité et de pudeur. Depuis Misery ou Psycho, personne n’avait mieux saisi l’essence intacte de l’effroi et mis en scène la douloureuse symbiose de l’attraction et de la répulsion. Jusqu’à la dernière seconde du générique, le spectateur à la fois scotché sur son siège et double expectatif de Tom, sue et tremble devant la mise en place de ce syndrome de Stockholm poussé dans un paroxysme intolérable.
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Tom à la ferme, Xavier Dolan, sortie mars 2014.
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