Récit d’une publicité qui a fait basculer une dictature, No est peut-être avant tout un cri du cœur d’un réalisateur, qui, au regard de notre actualité, fait passer le message retentissant que oui, chaque voix compte pour bâtir une démocratie.
Symbolisé par un mot long de deux lettres, mis en image par un beau et jeune publicitaire, l’histoire de No est avant tout celle de la multitude.
Soyez sympas, rembobinez
Avec No, Pablo Larraín prend le parti d’asseoir confortablement son spectateur dans une autre époque, autant par le grain de sa pellicule et le portée de sa caméra, que par les décors, les costumes. No sent bon la naphtaline de ces pellicules tournées par nos parents que l’on regarde pour se confronter à une époque qu’on a soit peu connue, ou vite oubliée.
Si No prend des allures de documentaire d’une époque révolue, sorte de docufiction sur le making-of d’une campagne publicitaire, ce sont vite les véritables images d’archives, sévères, noires et blanches, qui apportent une tonalité et une couleur aux propos, rappelant que malgré la distance souhaitée, 1988 ce n’est pas si loin que ça…
Concilier le passé et l’avenir : la campagne impossible
Si ce référendum est une opportunité, c’est aussi un cauchemar pour l’opposition, avec 18 partis qui se bousculent pour défendre leurs idéaux dans ce « Non ». Ce sont également des personnalités, des histoires personnelles, autant de caractères, usés par le silence, qui souhaitent s’exprimer pendant 15 minutes à la télévision.
Empêchée de parler pendant si longtemps, l’opposition a du mal à trouver ses mots : que dire maintenant que l’on a le droit de s’exprimer ? La campagne se doit de mettre en avant les horreurs passées et présentes de la dictature, sans effrayer, tout en rassurant sur l’avenir. On sait ce qu’on a aujourd’hui, mais de quoi sera fait demain ? L’équipe publicitaire est ainsi confrontée à ce que l’on peut appeler, en jargonnant un peu, le « brief client » impossible.
Le génie du film de Larraín est avant tout de filmer le processus, les tribulations de la mise en place de cette campagne. Entre la proposition initiale, à contre-courant, le logo à la va-vite, et la réunion brainstorming qui dure sur la plage, complètement déconnectée de la situation du pays, sans compter l’ajout par le monteur d’une séquence censurée : la seule réponse est finalement qu’il n’y en a pas. Le Non à la dictature est fait de toutes les sommes de tous les Nons du peuple, des coups de gueule, des rires et des pleurs de chacun. Comme des vignettes qui viennent s’accumuler sans fin pour multiplier les possibilités que la démocratie peut offrir, comme autant d’alternatives au mal de la dictature.
De la rivalité publicitaire
Les publicitaires aiment à penser que le but de leur production est de faire évoluer les comportements. En regardant, en écoutant leur publicité, on se mettra à boire du jus d’orange X car c’est vraiment meilleur pour notre santé, on ira acheter une voiture Y car finalement, cela correspond vraiment à notre style de vie. Par le biais de l’identification, il s’agit de transformer par l’image, le désir d’un produit, d’un service, en acte d’achat. Finalement, le dispositif publicitaire mis en place par René correspond bien à cette méthode : comment vendre le Non ? Comment pousser le comportement des absentéistes à l’acte de vote ?
De manière assez prévisible, au sein de cette campagne, se retrouve l’affrontement entre la marque leader, le Sí, et la marque challenger, le No – chacune représentée dans une escalade de réponses par les ego de Lucho (Alfredo Castro) et René (Gael García Bernal). Au-delà des idéaux, No met alors en scène une bataille acharnée entre le maître et l’élève – si le sujet s’y prêterait, on en rirait presque.
On sort de No avec cet incessant refrain dans la tête « Chile, la alegría ya viene », qui dure, qui dure, et qui se répète. Exaspéré au début, on en vient finalement à se dire que c’est peut-être là, dans cette litanie, que réside le plus important message du film : le poids des mots, contre l’oppression du silence.
En résumé, un film à voir — si toutefois vous n’avez pas d’aversion particulière contre les pulls à rayures des années 80.
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NO
De : Pablo Larraín
Avec : Gael García Bernal, Antonia Zegers, Alfredo Castro
Durée : 1h57
En salles dès le 6 mars 2013
A propos de l'auteur
