Limbo Festival: report intégral

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La fin du mois de janvier voyait le Limbo festival agréger une somme d'artistes aux manières variés autant qu'aux divers horizons. Retour sur 4 des 5 soirées proposées par l’événement , des longues plages de sérénité de Earth aux crachats malpolis de haine de Pop. 1280.

Earth + Black Spirituals + Don McGreevy & Rogier Smal Duo @ La Maroquinerie (23/01/15)

Après un concert complet au Point Ephémère en août dernier, la bande à Dylan Carlson revenait en terre française pour, une nouvelle fois, doucement dorloter les effets de la pesanteur. Avec un nouvel album à promouvoir, les américains prenaient la température à la Maroquinerie afin de lancer les hostilités de leur nouvelle campagne européenne, au terme prévu à la fin février.

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Earth, durant une longue et souple heure et demie, empila une somme de riffs à la conséquente lourdeur, de celle qui se déploie dans les airs comme les ailes d’un animal serein, répétant à l’infini le même paisible mouvement, la même constante sentence. La musique de Dylan Carlson s’appesanti tranquillement sur la surface de la terre, d’une rythmique majestueuse et lente, profonde et silencieuse, chaude et sirupeuse. A la façon du ressac continu de la marée, on se laisse véritablement bercer et balancer au gré des flottements inconscients d’une musique qui imprime son sinueux mouvement sur nos impassibles trajectoires. Et lorsque les américains ressortent des pièces d’importance comme The Bees Made Honey in the Lion’s Skull ou Old Black, alors on ne parle même plus à ce moment très précis de classe, de grâce, de style, mais d’un Carlson qui vient éclaircir du bout de sa guitare de prince une lumière infiniment belle, tiède et dorée sur l’air mystérieux et ravageur de la pleine Vérité.

Les membres d’Earth transparaissent à merveille d’ailleurs derrière cette musique lourde et mélancolique : chaque musicien résonne et réagit telles les sonorités délivrées par son propre instrument. Le jeu d’Adrienne Davis, en particulier, ample et mesuré, pénètre chacun de ses mouvements d’une habile justesse et d’une minutieuse précision : celle-ci abat ses bras à la façon d’un rythme cynique décomptant seconde après seconde un inévitable et fatal dénouement. Carlson, quant à lui, s’enroule aisément dans l’aura de chaude électricité qu’il construit petit-à-petit, bien aidé par Don McGreevy à la basse. Le tout dernier album, Primitive & Deadly, aura part belle dans cette setlist puisque l’intégralité y sera reproduite, au milieu de plus vieux morceaux, comme une version courte du rêche et dur Ouroboros is Broken.

Un concert d’une immense classe. Earth, comme en août dernier, n’aura point déçu une assistance profondément concernée, emmenant certains de ses membres jusqu’à la transe puisque l’on verra, lors du rappel des américains, quelques têtes chevelues dans le public dessinant le mouvement rotatif du Diable d’une allure de plus en plus extrême. On aura malheureusement pas eu le temps de voir les deux premières partie, Black Spirituals et Don McGreevy & Rogier Small Duo, invitées par Earth sur cette tournée européenne, mais on ressortira comme étrangement sonné du concert donné par la bande de Dylan Carlson.

Crédit photos: Cédric Oberlin
Crédit texte: Ambroise Colère

White Fence + Baston @ La Maroquinerie (25/01/15)

Baston, issu de la scène garage rennaise, a la charge d’introduire les festivités. Le batteur est placé pile au centre. C’est carré et les musiciens sont concentrés. Ils n’en oublient pas pour autant de nous ravir les oreilles avec leur son garage bien sympathique et, pour ne rien gâcher, ce petit plus de personnalité et quelques passages plus instrumentaux bien sentis.

Les morceaux s’enchaînent. Le public écoute attentivement. Petite surprise bien sympathique, Baston nous offre une jolie reprise revisitée des Beach Boys avec Little Honda qui prend des airs de garage avec ses cris sauvages finaux noyés dans la réverb. Après trois quarts d’heures sur scène et onze titres, Baston finit son set et nous quitte non sans introduire le groupe suivant et son « petit génie » que tout le monde attend.

Ce soir la salle chaleureuse de la Maroquinerie est pleine et on attend à présent la tête d’affiche : White Fence. Comme le soulignait avec malice Baston quelques instants plus tôt, c’est avant tout le projet musical de Tim Presley. Il s’entoure, pour donner vie à White Fence en concert, d’un groupe à composition variable suivant les tournées. On aperçoit d’ailleurs au moment des derniers réglages Cate le Bon qui officie en tant que guitariste sur la présente. Le bassiste vérifie quant à lui les potentiomètres de son préampli à l’aide d’une photo sur son smartphone. Les cymbales sont fixées. Tout est prêt. White Fence fait donc son entrée quelques minutes plus tard, Tim fermant la marche. La grosse caisse a juste un peu reculé mais la section rythmique basse/batterie est une nouvelle fois placée au milieu et un guitariste de chaque côté, Tim tout à gauche.

Ce soir White Fence est là pour nous abreuver de son au bon goût de pop anglaise sixties. Ils attaquent avec Chairs in the Dark, qu’avait d’ailleurs repris Cate, elle seule, avant de rejoindre le tour bus de la formation. Ça s’annonce bien. Arrive le troisième morceau. White Fence nous joue pour nous mettre en appétit le single, passage obligé, du dernier album intitulé Like That. Un titre très accrocheur qui rappelle les Who et qui en live est joué avec un tempo un peu plus rapide. On retrouve un peu les coups rageurs de médiator de Pete Townshend mais avec cette petite (grande ?) touche de nonchalance propre à Tim. White Fence continue sur sa lancée avec le non moins percutant Arrow Man, deuxième morceau du petit dernier assez bien représenté ce soir puisqu’on en appréciera 6 autres titres sur les 17 joués. White Fence semble étirer certains morceaux comme pour Baxter Corner. Le groupe s’amuse et donne sa pleine mesure.

Yeux cachés par une épaisse frange mais large sourire bien visible, Cate, hilare, attaque avec envie le même accord en boucle. Tim improvise par dessus. Tim et Cate de chaque côté de la scène tricotent dans la distorsion du son un maillage de notes captivant. Tim va bientôt pointer sa guitare tel un fusil vers son ampli. Le résultat ? Toujours plus de zébrures de saturation et de distorsion dans l’alchimie qui s’opère sous nos yeux et mines réjouies. Mais Tim n’a pas le monopole du larsen et Cate vient s’amuser à son tour auprès de son ampli. La section rythmique toujours ancrée au milieu des protagonistes à 6 cordes se charge de maintenir tout ce petit monde à flots.

Le public hoche la tête de plaisir et se manifeste en applaudissant généreusement. Tim absorbé par la musique ferme les yeux une grande partie du concert mais jette de temps en temps un coup d’œil à ses camarades. Le groupe vit et nous emmène avec lui par la seule force du son. Sur Anger! Who Keeps You Under?, Tim sort un archer de violon pour faire résonner ses cordes. Ca fait toujours son petit effet et c’est plutôt réussi. La setlist s’oriente également vers des morceaux plus directs et rentre dedans propices à nous faire gigoter sur place et même un peu plus. The Light est de ceux là. Un pogo finit par prendre forme au milieu de la fosse. On a quand même droit en cours de route, à quelques morceaux plus bas de tempo afin de varier les plaisirs comme ce très joli Makers à mi-parcours.

Après une heure et demie de concert, Cate nous remercie en français dans le texte. Le groupe disparaît mais pas pour longtemps. Les applaudissements plus que mérités sont nourris. Le groupe revient et Tim Presley peu loquace jusque là, très souriant, échange quelques mots avec le public. Ils nous offrent deux morceaux supplémentaires et nous laissent à la nuit parisienne. A bientôt White Fence!

Crédit photos & texte: Nicolas Bauclin

Pop. 1280 + Future @ la Mécanique Ondulatoire (26/01/15)

Quatrième et avant-dernière date du Limbo festival, Pop. 1280 venait poser son poison vénéneux et toxique dans la cave de la bonne Mécanique Ondulatoire. C’est la deuxième fois que le quatuor foule la terre de France après une date apparemment apocalyptique au Klub au tout début d’année 2014 : le groupe de New York revient ici avec un nouveau 7’’ sous le bras, signe d’un futur album à sortir avant la fin de cette année 2015

Pop. 1280 n’attendra pas une seule seconde pour poser ses fermes sabots à l’ambiance délétère sur la scène de la Méca. Cela sonne précisément comme une expérience mutante qui aurait mal tournée, donnant naissance à un monstre de métal dont les bras de fer raclent régulièrement le sol, sillonnant la ville et provoquant peur et panique sur ses habitants. Il hurle à la mort, ce monstre, il a soif de sang et faim de haine, tout en restant fort, ferme, dur, gardant un contrôle total sur chacun de ses mouvements meurtriers, recadrant la tension et la menant du bout d’une lourde chaîne d’acier. Sa musique se pose rigide et glaciale, sans une seule larme de pitié, fraîche et martiale, de cette lame qui éblouit comme l’absence de doutes et la volonté d’en finir. Pop. 1280 exprime des couleurs criardes, glauques et délavées, comme si elles avaient justement été victimes d’une sale transformation ou d’un génome modifié.

Pétrie d’une lourde sensation comme d’une sourde tension sur toute la première partie du concert, il suffira d’un titre, d’un seul pour faire basculer la soirée dans un innommable bordel de jambes et de bras entremêlés : Bodies in the Dune, cet inestimable tube, rasera les premiers rangs à coups de bonnes radiations thermonucléaires. « I’m so Clean » scande et répète Chris Bug, au micro : chemise ouverte et pendentif outrancier, il imposera ses conditions de destruction à l’assemblée et mènera sa petite troupe vers un concert d’excellence, d’autant plus que de rappel il n’y aura point. On aura certainement l’occasion de les revoir sur leur prochaine tournée européenne, visiblement planifiée pour octobre ou novembre en France. Future ouvrait pour les new-yorkais, nous n’aurons le temps que de capter un ou deux morceaux vaguement mollasses et médiocrement excitants.

Crédit texte: Ambroise Colère

Pere Ubu @ la Maroquinerie (27/01/15)

Père Ubu, soit la bonne légende crée par le seul David Thomas, posait ses valises chargées d’histoire dans l’enceinte de la Maroquinerie. Dernier concert du Limbo festival, on s’attendait à ce que les américains parachèvent avec succès la bonne série de dates proposées par l’évènement : il n’en sera malheureusement point le cas, le groupe à David s’étant fourvoyé dans une espèce de triste parodie de lui-même.

Car le véritable souci, c’est que les américains n’ont point le monopole du spectacle : seules les vannes fatales du père Thomas entretiennent l’attention. Les morceaux paraissent sur scènes comme de lourdes pierres, perdant leur attaque comme leur sèche finesse, et tout finit mollement par se ressembler. Une déplorable conséquence probablement précipitée par un batteur jeune et engagé qui n’hésite pas à bourrer ses fûts tel le charbonnier en détresse : le son de ces cymbales couvre littéralement l’espace à tel point que seuls guitare et clarinette arrivent à s’en sortir sans trop de dégâts. Cela ne serait pas vraiment dérangeant si le reste de la bande assurait derrière, on ne peut pas dire que ce soit véritablement le cas : l’électronique semble clairement invisible, la clarinette sonne précisément trop comme une clarinette et la guitare manque de pêche et d’envie ; seul David Thomas fascine par sa prestance de mec bourré, étrangle le micro par ses continuels geignements et grince son acide façon de dérouler une par une chacune de ses phrases assassines.

C’est d’autant plus dommageable puisque les américains nous avaient pourtant favorablement mis en condition avec la version Moon Unit du groupe, en guise de première partie. Plus expérimental, moins évident, versant plus dans une ambiance sourde et lunaire, et collant beaucoup plus avec les possibilités que peuvent offrir un tel line-up, cette ouverture avait le mérite d’intriguer comme d’aguicher, entrevoyant la suite comme une guerre de crachats, de mauvaise foi et de réduction sonique. Il n’en fût rien.

Crédit photos: Alan Kerloc’h - pour un report présentant un avis sensiblement différent sur ce concert, rendez-vous sur My Cat Is Yellow !
Crédit texte: Ambroise Colère

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Earth: http://www.thronesanddominions.com/
White Fence: http://www.dragcity.com/artists/white-fence
Pop. 1280: http://pop1280.tumblr.com/
Pere Ubu: http://www.ubuprojex.com/

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